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L’Art de Récolter le Vivant

Chaque année, entre la fin août et le début octobre, le Domaine du Gourget s’anime d’une effervescence toute particulière. C’est le temps des vendanges — un moment attendu avec émotion, préparé avec précision, et vécu avec passion. Derrière chaque bouteille se cache le travail minutieux de ces jours décisifs où la vigne livre enfin son fruit.

Les vendanges ne se programment pas au calendrier, elles s’imposent au vigneron par l’observation. Chaque parcelle est scrutée avec attention : couleur des raisins, maturité phénolique, équilibre sucre-acidité. Sur le Domaine du Gourget, ce sont des prélèvements réguliers et des dégustations de baies qui dictent le début des récoltes. Il s’agit de capturer l’instant idéal, celui où le raisin révèle son potentiel aromatique sans perdre sa fraîcheur.

Cette quête de la maturité parfaite est une science douce. Les techniciens arpentent les rangs au petit matin, sac en bandoulière, pour prélever des centaines de baies. En laboratoire, le moût est analysé, mais c’est dans la dégustation que se prend la décision ultime. Croquer le raisin, sentir la peau céder sous la dent, évaluer la texture des tannins, la vivacité de l’acidité et l’explosion des arômes en bouche : c’est le seul critère qui ne ment jamais. Parfois, une parcelle ensoleillée sera prête une semaine avant sa voisine, abritée par la fraîcheur d’un bosquet. C’est cette lecture fine du terroir, à l’échelle de quelques mètres carrés, qui définit l’exigence du domaine.

UN SAVOIR-FAIRE TRADITIONNEL

Bien que le domaine se soit modernisé au fil des décennies, la vendange reste en grande partie manuelle, notamment sur les parcelles les plus anciennes ou les plus escarpées. Ce choix assumé garantit une meilleure sélection des grappes et un respect total du fruit. Chaque grappe est coupée à la main, triée avec soin, puis acheminée rapidement à la cave pour éviter toute oxydation.

Le geste du vendangeur est un héritage. Le sécateur, prolongement de sa main, doit trancher le pédoncule net, sans déchirer le bois de la vigne qui devra supporter l’hiver. Dans les paniers, seules les grappes les plus saines et les plus mûres ont leur place. Ce premier tri, à la vigne, est décisif. Il élimine les raisins botrytisés ou les baies immatures qui pourraient altérer la pureté du futur vin. À l’arrivée au chai, une table de tri vibrante et une équipe attentive parachèvent ce travail, inspectant une à une les grappes qui entameront leur métamorphose. C’est un processus qui semble lent, presque anachronique à l’ère de la mécanisation, mais qui incarne une philosophie : le vin de qualité naît d’abord du respect de l’intégrité du fruit.

LA CHORÉGRAPHIE DU CHAI

Une fois le raisin récolté, une autre course contre la montre commence. Le chai devient le cœur battant du domaine. Les bennes déversent délicatement leur précieuse cargaison, et l’air se charge de l’odeur enivrante du moût et des premières fermentations. Les raisins destinés au blanc sont pressurés avec une lenteur extrême pour n’extraire que le meilleur du jus, sans amertume. Pour les rouges, c’est l’étape de l’éraflage, où les baies sont séparées de leur rafle, avant de tomber dans les cuves pour entamer la macération.

C’est dans ces cuves en inox ou en foudres de chêne que la magie opère. Les levures indigènes, présentes naturellement sur la pellicule des raisins, se réveillent et transforment le sucre en alcool. La température est contrôlée au degré près pour préserver la finesse des arômes. Le vigneron devient alors un guide, observant, sentant, goûtant quotidiennement le jus en fermentation. Les remontages ou les pigeages, selon les cuvées, extraient couleur et tannins en douceur. Chaque décision technique, prise dans la pénombre fraîche du chai, est une note qui composera la symphonie finale du millésime.

UNE PÉRIODE DE TRANSMISSION ET DE PARTAGE

La récolte est aussi un moment de vie collective. Vendangeurs saisonniers, voisins, amis de la famille : tous partagent les repas autour de longues tables dressées à l’ombre des mûriers. Les histoires se racontent, les rires éclatent, et le vin nouveau est déjà dans les conversations. Pour Anne Prandini, actuelle gérante du domaine, les vendanges sont “la mémoire vivante du domaine”, un lien entre les générations et une école à ciel ouvert pour ceux qui souhaitent comprendre le vin à sa source.

Ces repas pantagruéliques sont plus qu’une pause bien méritée ; ils sont le ciment de l’esprit d’équipe. C’est là que le savoir se transmet oralement, où un ancien explique à un jeune étudiant en œnologie pourquoi telle parcelle donne toujours des tannins plus souples. La fatigue physique est réelle, les mains sont marquées par le sécateur et le jus de raisin, mais une énergie joyeuse et collective transcende l’effort. On y goûte le vin de l’année précédente, on discute des promesses du millésime en cours, et on perpétue des traditions qui rythment la vie rurale depuis des siècles.

L’ÂME DU MILLÉSIME

Chaque vendange donne naissance à un millésime unique, reflet du climat de l’année, des soins apportés à la vigne, et des décisions prises à chaque étape. C’est ce caractère singulier que les vins du Domaine du Gourget cherchent à révéler : une photographie liquide d’une saison, d’un sol, d’un lieu.

Le millésime 2023 ne sera jamais identique au 2022, marqué par une sécheresse historique, ni au 2021, plus frais et pluvieux. Il portera en lui le souvenir des nuits étoilées de septembre, de la rosée du matin sur les feuilles, et de l’intuition du vigneron qui a su attendre juste assez. En dégustant un vin du Domaine du Gourget, on ne goûte pas seulement un assemblage de cépages, on voyage dans le temps. On accède à l’émotion d’une équipe ayant œuvré pour capturer, le temps d’une vendange, l’essence éphémère d’un morceau de terre.

Les vendanges sont bien plus qu’une récolte — elles sont une célébration du vivant, un hommage au travail patient de la nature et des hommes. Elles sont le rituel annuel où le cycle se referme et recommence, où le fruit se fait promesse, et où la sueur et la terre se transmuent en or liquide.